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« Que du vent » : Yves Ravey lessive l’argent vain

« Que du vent », d’Yves Ravey, Minuit, 128 p., 17 €, numérique 12 €.
Yves Ravey demeure avec une constance remarquable ce que l’on se ­permettra d’appeler un « écrivain Minuit ». A l’exception de son premier livre, La Table des singes (Gallimard, 1989), tous ses romans – près d’une vingtaine – ont en effet été publiés sous la couverture blanc et bleu des éditions aujourd’hui dirigées par Thomas Simonnet. Ils correspondent d’ailleurs parfaitement à une certaine tradition esthétique de la maison, mélange subtil d’ironie minimaliste et de goût pour l’étrange, mâtiné dans les débuts d’un tropisme germanique assez singulier.
Professeur d’arts plastiques dans le Jura, Yves Ravey est aussi resté un auteur discret, et même un peu mystérieux, dont l’œuvre semble s’être infléchie progressivement vers une forme de polar elliptique et conjugal, dépressif mais réjouissant, comme en témoigne le récent et très réussi Taormine (Minuit, 2022).
Que du vent s’inscrit dans cette veine, qui pourrait presque faire croire – titre compris – à un roman de Philippe Djian. Nous sommes dans une zone pavillonnaire indéterminée, où les personnages portent des noms de série américaine et connaissent des destins médiocrement glorieux, travaillés par des affects troubles et des motivations louches. Barnett, le narrateur, ancien militaire en Irak, a collectionné les faillites avant d’essayer de se reconvertir dans le commerce discount et douteux de produits d’entretien importés d’Afrique. Il a vu sa femme Josefa le quitter pour un certain Spencer, professeur d’histoire plutôt importun, tandis que Sally, la femme de son voisin Miko, patron d’une chaîne de laveries servant surtout à blanchir l’argent de la drogue, lui propose sans guère de préliminaires de changer de vie en sa compagnie.
Quel est donc cet improbable scénario, que l’on dirait destiné de préférence à une telenovela ? L’écrivain s’y amuse à l’évidence des poncifs pour construire, comme à son habitude, un récit au suspense implacable, mais biaisé : son narrateur vide, figure parfaite d’antihéros un peu veule, avance dans une fiction qui semble se faire sans lui, où il appartiendra au lecteur de deviner l’issue du coup projeté par la séduisante Sally, un « hold-up » un peu trop facile qui risque de capoter avant la fuite prévue à ­Veracruz…
A partir de ce mince canevas de faux polar, tout l’art de Ravey consiste à bâtir un roman en lignes claires sur un fond flou, où les turpitudes du monde font un drôle de décor triste : argent sale, souvenirs de la guerre (Barnett est un ancien commando, Spencer un spécialiste de la seconde guerre mondiale), laideur des zones périurbaines en expansion, où l’on fait creuser des piscines à côté de hangars et de chenils.
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